Article mis à jour le 16/04/2014
Didier Lepicaut vient de soutenir un mémoire sur la thématique des impacts financiers, organisationnels et des politiques des ressources humaines qu’entraînera la Réforme des Retraites 2010. Ses travaux ont trait à l’analyse comparée, avant / après la Loi de Réforme des Retraites du 09 novembre 2010, de la gestion employeur dans le traitement du sureffectif et dans la gestion de fin de carrière de la catégorie Senior.
Je le remercie de s’être prêté à l’interview ci-dessous et de nous dévoiler en avant-première la synthèse de ses conclusions (PDF 49 pages en téléchargement en cliquant sur l’image de la page de garde ci-dessous).
1. Pouvez-vous vous présenter en quelques lignes ?
Généraliste RH, après plusieurs années de présence opérationnelle à accompagner les managers et les salariés, j’ai souhaité valider cette expérience sur le terrain par une certification professionnelle, me permettant de prendre le recul indispensable sur ma pratique de Gestionnaire des Ressources Humaines. Pour ce faire, j’ai validé, en mai dernier, le Master Management des Ressources Humaines et de la Responsabilité Sociale de l’Entreprise à IAE de Paris. Créé en 1975, le Master RH / RSE fête son 1.000ème diplômé cette année. Il constitue une référence dans le domaine.
2. Vous venez de réaliser un mémoire (de 330 pages + annexes) sur le sujet des impacts financiers, organisationnels et politique de RH de la réforme des retraites 2010, que doivent en retenir les professionnels en synthèse ?
Dans un environnement économique en devenir, où les pressions fiscales et sociales s’alourdissent, la mise en application de cette nouvelle Loi est perçue comme un socle de contraintes supplémentaires tant pour les employeurs que pour les salariés qui vont devoir travailler deux années supplémentaires. Si dans un premier temps, la mise en conformité réglementaire pour l’Employeur suffira à répondre aux objectifs chiffrés de la Loi n°2010-1130, dite de réforme des retraites Fillon II, à moyen terme, c’est toute la pratique de Gestion des Relations Humaines qu’il faudra revisiter par la mise en place d’un nouveau contrat global – travail, social, éthique – entre les parties prenantes de l’entreprise.
Dans ce nouveau contexte perturbé, l’obligation pour l’employeur de négocier sur les thèmes pénibilité et égalité salariale place l’année 2012 sous haute tension sociale. En effet, de nombreux accords collectifs dont l’objet est l’emploi des seniors arrivent à terme et les syndicats mis sous tension par une véritable demande sociale matérialisée sur ce sujet ne vont pas se contenter de mesures consensuelles comme le tutorat ou les entretiens de mi-carrière. La question n’est pas d’opposer les logiques de « réparer » ou « compenser » les dommages affectant la santé des salariés liés aux organisations de travail qui exposent le salarié à des facteurs de pénibilité, la question devient combien ? Et quelle négociation est à mener par les parties prenantes pour s’entendre sur le montant en Euros du combien ?
3. En quelques mots comment s’est déroulée votre enquête terrain et quel a été l’échantillon concerné ?
Au final, le protocole d’enquête retenu repose sur les données suivantes :En accord avec mon Directeur de Mémoire, Monsieur Denis FALCIMAGNE, expert en Rémunération Globale, l’enquête terrain m’a permis de croiser des méthodes d’analyses quantitatives des données et d’exploration qualitative des points de vue des signataires des accords d’entreprises étudiés notamment en utilisant la plateforme wordle.com. Les premiers résultats bruts ont été ensuite confrontés aux axes d’analyse juridique, financier, GRH et organisationnel de la question précisée. J’ai notamment construit un modèle de notation sociale de type ESG en m’inspirant des modèles ISR déployés par les analystes financiers.
- 38 accords collectifs audités, 29 accords du SBF120, 9 hors SBF120,
- 17 entreprises / groupes étudiées,
- 34 questionnaires instruits,
- plus de 20 Heures d’entretien exploratoire matérialisées,
- 50% de répondants experts RH, 50% des salariés en responsabilité au sein des IRP.
4. En quoi selon vous les DRH sont-ils écartelés dans des injonctions contradictoires ?
L’employeur est aujourd’hui confronté à une réalité « pratico – pratique » dans sa pratique managériale :
Pour répondre aux objectifs de ses actionnaires de maintenir sur le long terme une masse salariale constante, comment arriver à mettre en œuvre une politique d’individualisation de rémunération globale sans discriminer ? Comment réussir à renverser la pratique, en matière de retraite, d’attendre l’âge de 50 ans pour commencer à s’occuper de ses futurs revenus de retraité ?
D’un autre côté, « les arbres ne montant pas jusqu’au ciel », l’employeur identifie vite la limite de son intervention aux seuls dispositifs d’épargne retraite supplémentaire sur lesquels il peut faire du transfert de charges sociales « de salarié vers employeur » pour maximiser « le net » des sommes versées à ses salariés.
Depuis 3 ans, le DRH a du inscrire à l’ordre du jour de son agenda de nouvelles obligations fixées par le législateur : Junior, Senior, Retraite, Handicap, Egalité Professionnelle, Diversité… Epargne salariale, Epargne retraite… Vous l’avez compris, mes collègues DRH doivent gérer une somme de problèmes qu’il s’agit de régler dans une logique d’injonction contradictoire ! Recruter, former et motiver tous les publics cités, financer des plans d’actions individualisés pour chaque catégorie, gérer toutes ces initiatives en même temps, répondre aux objectifs des managers opérationnels tout en satisfaisant les objectifs de modération salariale demandés par l’actionnariat…
5. En synthèse des résultats de vos travaux de recherche l’on peut lire « les injonctions performatives de la loi (LFSS2009 – ART.87) ne façonnent pas la pratique de Gestion des Ressources Humaines au sein de l’entreprise » pouvez-vous nous en dire plus sur cet article, ce qui peut expliquer ce phénomène et enfin si toutes les injonctions légales sont aussi peu performantes ?
Suite à la mise en place de l’obligation de mettre en œuvre un accord ou plan d’action senior (art.87- LFSS 2009), les employeurs n’ont pas changé véritablement leur perception des seniors, ils ne sont pas encore sortis de 40 ans de culture de préretraite. De mal en pis, certaines mesures préconisées comme les entretiens mi- carrière étaient déjà utilisées avant l’instauration de la Loi. Le processus de transformation « du type changement des modes de gestion » mettra au moins dix années avant de produire des résultats concrets dans les organisations et dans les postures des acteurs.
Pour preuve, en cet été 2012, où sont réellement les seniors dans l’entreprises ? Combien de salariés seniors, quels emplois, quelles missions ?
N’en déplaise aux techniciens de la DGEFP (Ministère du travail), les injonctions performatives de la Loi ne façonnent pas la pratique de Gestion des Ressources Humaines au sein de l’entreprise. J’invite vos lecteurs à parcourir les nombreux travaux d’excellence réalisés par l’ANACT dans ce domaine.
6. Au regard des résultats de vos travaux de recherche, quels conseils pourriez-vous prodiguer aux entreprises en matière de gestion des fins de carrières ?
Pour autant, tout n’est pas si noir, tout n’est pas inscrit dans une « épure figée », avec la réforme des retraites 2010, les entreprises ont l’opportunité d’enclencher un travail de fond et de mobiliser les marges de manœuvre réelles que le champ d’intervention du praticien R.H. peut leur fournir.
D’une contrainte légale, en faire une opportunité de développement RH…
Afin de bâtir un véritable alternative à la « cessation anticipée d’activité », c’est-à-dire être en capacité de proposer une véritable seconde partie de carrière, le DRH doit construire des solutions adaptées à la situation réelle des salariés seniors présents dans le corps social de son organisation en se basant sur trois axes de développement de la politique de GRH:
- Acquisition des ressources seniors : définition des besoins, sélection & recrutement et intégration,
- Stimulation de la motivation des seniors : typologie, évaluation, rémunération et conditions de travail,
- Développement RH des seniors : référentiels emplois & compétences, trajectoire et formation,
Le rôle grandissant des dispositifs d’épargne salariale et retraite dans la politique salariale :
In fine, sur la durée d’une carrière professionnelle, l’ingénierie financière au travers des combinaisons de composantes de rémunération globale et des passerelles entre dispositifs (cf. figure ci-dessous PERCO-CET-Art. 83) constitue un moyen performant pour « accélérer » l’épargne volontaire sous forme de capital afin de venir compléter les futures pensions obligatoires du salarié. La performance d’une politique salariale passera par une politique de protection sociale performante.
Les entreprises vont devoir faire appel aux services de la fonction responsable de rémunération globale, apanage des grandes organisations, notamment pour décrypter les nouveaux impacts sur la masse salariale par l’entrée en vigueur de la Loi n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012, JO 17/08/2012.
7. Quels conseils pourriez-vous prodiguer aux séniors compte tenu du cadre socio-économique et politique actuel et des tendances qui se dessinent pour les années à venir ?
D’ailleurs, l’IGAS ne s’est pas trompée dans son rapport sur le cumul emploi – retraite de juillet 2012, elle préconise de fusionner les 3 formes de cumul emploi-retraite comme forme d’aménagement des fins de carrières seniors.Sans surprise, les salariés ont déjà anticipé que cette réforme des retraites n’allait que répliquer la dispersion observée dans la distribution des salaires lors de la période d’activité. Dans un processus auto-adaptatif, le salarié a compris que les produits d’épargne retraite n’étaient pas une solution miracle. Son objectif révisé, simple et accessible, est d’arriver en « bonne santé » au moment de prendre sa retraite, car lorsqu’il aura liquidé ses droits à la retraite, il sait qu’il devra retravailler pour cumuler des revenus d’activité à ses pensions de retraite…
Pour conclure : Tout salarié, doit être propriétaire de son logement au moment de son départ à la retraite. Au début de sa carrière, dès le premier emploi, le salarié doit s’organiser en termes d’épargne forcée pour financer l’achat de son logement. En fin de carrière, la maison payée, il pourra dégager une capacité d’épargne qui viendra compléter ses revenus de retraité.
8. Que vous évoque la question de l’égalité homme/femme du point de vue des pratiques que vous avez étudiées auprès de vos sondés ?
Lors de mon travail d’enquête terrain, j’ai abordé cette nouvelle obligation fixée par Loi n°2010-1130 avec les parties prenantes, qui se sentent bien sûr concernées par cette question de l’égalité professionnelle. Mais dans la pratique, beaucoup d’organisations ne savent pas comment transformer cette obligation légale en levier de performance sociale. Sur cet item précis, toute l’ingénierie sociale et financière est à construire !
Encadrement juridique (du sujet):
- Loi n°2010-1130 du 09 novembre 2010 publiée au J.O. 10 novembre 2010
Item, Pénibilité :
- décret n° 2011-353 du 30 mars 2011 relatif à certaines dispositions d’application des articles 79, 81, 83 et 84
- décret n° 2011-354 du 30 mars 2011 relatif à la définition des facteurs de risques professionnels
Item, Egalité Professionnelle :
- Décret n°2011-822 : précise les indicateurs à chiffrer afin d’affiner le Rapport de Situation Comparée (RSC)
- Décret n° 2011-2034 du 29 décembre 2011 relatif à l’âge d’ouverture du droit à pension de retraite
- Décret n° 2012-847 du 02 juillet 2012 instaurant la retraite à 60 ans au titre des carrières longues
- Loi n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012, JO 17/08/2012
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