Article mis à jour le 22/10/2014
Il est devenu assez courant de quitter le poste de DRH pour prendre celui de DG mais l’inverse est plus rare. Quelles sont les raisons pour lesquelles l’on devient DRH et pour lesquelles l’on ne le resterait pas tout au long de sa vie professionnelle ? Quels sont les atouts et motivations pour devenir DG ou Directeur de BU ? La Direction des Ressources/Relations/Richesses Humaines prédestine-t-elle a la prise de responsabilités ?
Sophie Favresse a accepté de répondre à nos questions et nous l’en remercions.
Comment avez-vous construit et exercé votre mission de DRH ?
Je suis arrivée dans un environnement dont j’ignorais tout, la distribution spécialisée en franchise. Le Groupe détenait plusieurs enseignes, françaises et belges. La dernière acquisition datait d’à peine 1 an. Les centrales de franchise étaient disséminées entre la Bretagne, la région de Bruxelles, Madrid et Bari (Italie). La fonction de DRH était inexistante.
Ma 1ère action a été de « créer le contact » pour, d’une part, appréhender au plus vite l’environnement : la culture, les valeurs, les principes de management, les talents, les attentes, les ambitions, les non-dits, les contraintes, les modes opératoires, la communication… et, d’autre part, faire mon propre lobbying : expliquer qui j’étais, en quoi consistait mon métier et de quelle façon je pensais ma contribution au projet de l’entreprise. En effet, je n’ai jamais imaginé mon métier de DRH sous l’angle de la bureaucratie. Ce n’est pas en étant enfermé entre 4 murs que l’on peut être aux prises avec la réalité de l’entreprise et de son cœur battant : les Hommes.
A mon sens, le capital humain doit être considéré comme un « actif immatériel » aussi puissant que la marque ou la réputation de l’entreprise. Dès lors, il appartient au DRH de contribuer à lui fixer un cap, des objectifs clairs, de donner du sens à son action et de la mesurer, de reconnaître ses talents, de lui faire confiance (délégation), d’accompagner sa montée en compétence, de gérer sa carrière, et d’entendre ses leviers de motivation.
Aussi, pour que les choses fonctionnent, il faut que l’entreprise définisse le cadre précis d’exercice de l’activité. Le cadre, c’est d’une part ce que l’on attend du collaborateur en termes d’expertise sur une fonction assignée ; d’autre part, c’est l’espace dans lequel il exerce son expertise suivant différents niveaux de liberté ou d’autonomie à la fois d’action, de décision et d’initiative qui lui seront accordés au fil du temps.
Et plus l’entreprise grandit, plus elle digère d’acquisitions, plus son organisation devient collaborative et les managers traditionnels perdent leurs repères, plus les métiers changent… plus le cadre doit être construit de façon à rendre son organisation compréhensible, mobile, flexible, efficace.
Le rôle du DRH est ainsi de prendre le recul et les moyens nécessaires à l’accompagnement des transformations, de manager les changements sous l’impulsion de la Présidence, de rassurer et d’accréditer les managers, et de favoriser la communication à l’intérieur de l’entreprise. La communication est un facteur clé de réussite ! La nature à horreur du vide. Là où il y a du vide, il y a des doutes, contradictions, intox qui se mettent en place. Il faut donc communiquer, et dans la mesure du possible, en toute transparence.
Chacun est capable d’entendre les enjeux et équilibres auxquels doit faire face l’entreprise, et qui l’amènent à prendre des décisions économiques et humaines impactantes de type achat/revente, fermeture d’une branche d’activité et/ou d’un site, centralisation et/ou relocalisation, évolutions organisationnelles.
En tout état de cause, si les évènements sont parfois difficiles à accepter, je considère que chacun a les ressources pour y faire face et qu’il est de la responsabilité de chacun de voir le verre soit à moitié plein soit à moitié vide. L’essentiel, dans ce type de situation étant de considérer les personnes et de respecter leur choix, dans certaines limites évidemment.
Parmi les missions essentielles du DRH, figure enfin celle de gérer les personnes et les situations qui sortent du cadre. C’est notamment la raison pour laquelle la compétence « droit social » est un prérequis à la fonction. Le DRH a pour mission de préserver les intérêts de l’entreprise en termes de contentieux individuels et collectifs. Et dans ce domaine, je suis personnellement d’une rigueur absolue. L’entreprise a une raison d’être qu’il ne faut pas oublier : dégager des profits.
Comment étiez-vous perçue au sein du CODIR ?
J’étais perçue de différentes façons…
- un facilitateur,
- le bras armé du Président,
- une personne capable de piloter le changement, de rassurer, et de gérer les situations à risque,
- une personne engagée, fiable, pertinente, dont les recommandations étaient écoutées.
Après, dans tout changement, il y a des freins à lever… y compris au sein du Codir. Il faut donc faire preuve d’agilité, de pédagogie et parfois de patience ! J’ai appris ça, la patience…
Comment s’est faite votre évolution sur une direction de Business Unit ?
Après avoir touché du doigt les différents métiers de l’entreprise en tant que DRH : ventes, finance, IT, marketing, produit, logistique… j’ai cherché à comprendre l’expertise liée à chaque métier ainsi que sa contribution dans la chaine de valeur globale de l’entreprise.
Ensuite, j’ai considéré que le métier de DRH n’était pas une fin en soi, et c’est la raison pour laquelle j’ai décidé de faire un programme executive pour Cadres Dirigeants (AMP sur 1 an).
J’ai démarré mon cursus à l’EDHEC Business School et assez vite levé les barrières liées à mon âge (31 ans versus une moyenne d’âge de 44 ans) ; j’ai décomplexé au regard de ma formation initiale (rares sont ceux qui viennent de l’univers juridique), et surtout, je me suis distinguée dans plusieurs domaines : vision, marketing stratégique, management sous tension, ou encore finance corporate…Ce parcours fondé sur l’expérimentation, l’intelligence de situation, puis la richesse des participants eux-mêmes a été pour moi un révélateur voire un propulseur.
Peu avant le terme de ma formation, le Président m’a confié, en plus de la DRH, la Direction juridique business. Gérer le service juridique corporate, accompagner la Due Diligence, sécuriser les contrats de franchise, publicité, référencement, faire face aux éventuels redressements ou liquidations judiciaires de nos partenaires franchisés revenait à intégrer tous les enjeux business sans être directement exposée.
6 mois après je prenais la direction des 2 seuls magasins physiques intégrés du groupe, l’un en France et l’autre en Belgique, sous 2 enseignes différentes. Puis, dans la foulée, l’e-commerce a été défini comme une orientation stratégique au niveau du Groupe et le Président m’a demandé d’en prendre la direction.
Avoir été DRH est-il un atout pour prendre la direction d’une business unit ?
Sans aucun doute…
La direction de business unit, c’est un mélange de bon sens, de leadership, de courage et de responsabilité.
Du bon sens car il faut savoir comprendre, analyser et décrypter une situation sur le plan économique, commercial, humain, organisationnel, technique et logistique.
Si le programme executive de l’EDHEC m’a apporté un référentiel de compétences de cadre dirigeant, mon expérience de DRH a clairement posé les jalons de la direction d’entreprise. 3 exemples :
- en tant que DRH, vous pilotez le budget de la masse salariale. Il y a plutôt intérêt à savoir faire un prévisionnel budgétaire et optimiser chaque ligne de son compte de résultat. Par ailleurs, un certain nombre de risques contentieux pèse sur l’entreprise et le job du DRH est de les minimiser. C’est une logique de résultat, non pas en gain de CA ou de parts de marché, mais en gestion des risques.
- En tant que DRH, vous êtes au service de vos clients internes (Comex, équipes, franchisés), donc il faut savoir convaincre, négocier, marketer et vendre ses idées.
- En tant que DRH, vous pilotez des changements, en ce incluant des restructurations, donc il faut savoir élaborer une vision, une ambition, des valeurs, analyser, écouter, patienter, intégrer les peurs, lever les freins, animer des groupes, communiquer et surtout fixer et maintenir le cap.
Bien évidemment il faut de l’expertise, mais au sens « avoir une vue 360° sur le business », pas en tant qu’expert d’un domaine en particulier.
Du leadership car il faut embarquer les équipes et partenaires dans le projet. Sachant que la concurrence n’a jamais été aussi forte et que 100% du savoir-faire de nos enseignes repose sur les hommes, le nerf de la guerre ou l’axe de différenciation se situe bien au niveau du management, de la compétence, et de la motivation des équipes à délivrer le meilleur d’elles-mêmes !
Du courage car il faut parfois affronter des situations difficiles et prendre des décisions impopulaires : celles d’opérer des changements structurels, en profondeur, de se séparer de compétences, de conduire vers des changements de métier…
De la responsabilité car un dirigeant assume ses choix, peu importe ce qu’ils sont. Il a le droit à l’erreur mais il a aussi le devoir de se relever, de dépasser son ego, à la fois pour l’entreprise et pour l’ensemble des personnes qui l’ont suivies dans l’aventure.
L’ensemble de mes résultats opérationnels a été réalisé sur le fondement de cette approche :
- le redressement financier des 2 magasins intégrés du groupe et le retour à un niveau de performance économique lui rendant son statut de vitrine : action sur le CA, la marge, les coûts annexes, les stocks, le SAV, le renouvellement de showroom, les opérations spéciales, les partenariats, la satisfaction client, la constitution des équipes, leur montée en compétences, l’adaptation des systèmes de rémunération, la motivation, la responsabilisation, la mise en place de process de front et back office…
- la création de la BU e-commerce incluant une réflexion de fond sur l’évolution du business model, la modélisation et la sécurisation des nouveaux flux d’activité, et la conduite du changement en interne auprès des DG d’enseigne, équipes et réseaux de franchisés qui percevaient ce nouvel axe stratégique comme une activité potentiellement concurrente et un nouveau métier que l’on ne maîtrisait pas.