Article mis à jour le 21/02/2018
Après m’avoir interviewée dans le cadre de son initiative « Building HR Bridges », Didier ERWOINE a accepté de répondre à mon interview sur des thématiques RH qui ne se démodent pas, et je l’en remercie.
Voici ci-dessous ses réponses à nos questions, intéressantes à triple titre !
Didier Erwoine est Psychologue et spécialiste RH. Consultant interne, formateur, enseignant, blogueur, gestionnaire du groupe HR Belgium (sur LinkedIn et Facebook), il réside à Bruxelles et pourrait être amené à intervenir dans d’autres pays tels que la France.
En tant que psychologue de formation, le fonctionnement optimal est pour moi essentiel. Après à un cursus universitaire dans le domaine clinique, je me suis ensuite tourné vers la psychologie du travail et la gestion des ressources humaines (RH). Je considère que chaque personne est unique et dispose de propres talents. Le fil conducteur de mon parcours est l’amélioration, le dépassement, la créativité et l’exploration de nouvelles possibilités. Guidé par la grille de lecture systémique, je veille au maximum, dans tout ce que je fais, à analyser les situations d’une manière globale.
Attentif à la transversalité, j’imagine davantage de décloisonnements entre la GRH d’une part et d’autres disciplines (philosophie, prospective…) ou enjeux sociétaux actuels (environnement, développement durable, responsabilité sociétale…) d’autre part. Je m’investis dans le développement du potentiel de l’organisation et de ses membres.
Pensez-vous qu’il faille proposer un contrat psychologique entre employeur et salarié pour compléter le traditionnel contrat de travail ? Si non pourquoi ? Si oui, quel serait son intérêt et en quoi pourrait-il constituer ?
L’employeur d’une part, et le candidat ou le travailleur d’autre part, ont tout intérêt à clarifier le contrat psychologique qui les unit. Beaucoup de départs prennent source dans des attentes projetées sur l’autre partie (mais attentes non rencontrées), et qui mènent à la désillusion (par exemple, le travailleur ne se montre pas assez flexible du point de vue des horaires, l’entreprise n’offre pas assez d’autonomie…), voire à l’échec de la relation. Pour ce faire, l’employeur doit avoir bien réfléchi en amont à sa marque employeur. À la base, le contrat psychologique est tacite (à l’inverse du contrat de travail). Le rendre plus explicite peut permettre de mettre en lumière les transactions réciproques donner/recevoir entre l’employeur et le travailleur, repérer les éventuelles demandes paradoxales, etc., et ce, dans une optique de transparence et d’ajustements mutuels. Ce contrat psychologique ne doit pas forcément avoir une allure aussi formelle qu’un contrat signé, mais il doit au minimum être discuté ouvertement, voire prendre la forme d’un document explicatif. Il ne faut pas oublier non plus que le contrat psychologique est quelque chose de vivant : il évolue au fil du temps. Il est donc crucial de le mettre à jour régulièrement, et de faire en sorte que le débat et le questionnement soit ouverts à tout moment.
Quels sont vos outils préférés en matière de gestion du recrutement, de gestion de la formation, de transfert des connaissances, et d’évaluation ?
Recrutement et sélection :
En matière de recrutement, je promeus l’usage des outils suivants :
- Le recrutement sans CV : le CV met surtout en valeur l’expérience professionnelle. Or, celle-ci n’est pas toujours révélatrice des compétences supposées. Le CV fige plus qu’il n’ouvre de portes. Le recrutement sans CV se focalise directement sur les compétences et la motivation du candidat.
- Le blog d’entreprise : le blog donne un visage plus concret à l’entreprise, et le candidat peut plus facilement s’en faire une représentation (plus réaliste).
- Les épreuves orientées-métier : le sacro-saint entretien d’embauche est une occasion de faire connaissance, mais c’est rarement le plus pertinent pour juger la pertinence d’une candidature. Rares sont les employeurs qui prévoient de faire exécuter au candidat une (ou des) tâche(s) similaire(s) à celle(s) du job en question. Or, si les compétences comportementales sont de plus en plus mises en avant, il ne faudrait pas négliger les compétences techniques, qui restent essentielles à la bonne exécution du poste.
- Les épreuves de personnalité : le comportement au travail est également un facteur crucial. À condition d’être ‘evidence-based’, les épreuves de personnalité peuvent offrir des informations pertinentes sur le candidat. Notamment, l’Analyse du Profil Personnel (APP), basé sur la théorie D.I.S.C., ne se limite pas à la description du comportement au travail, mais analyse la compatibilité entre le candidat et le poste.
- La prise en compte des paramètres autres que la compétence : l’ambition, l’expérience optimale (le « flow »), les valeurs, l’image, la motivation, les conditions de travail et le milieu sont autant de clés qui permettent de mieux analyser la comptabilité entre l’employeur et le candidat. Aucun de ces facteurs à lui seul n’offre des informations capitales, c’est en regardant l’ensemble que l’on peut dresser un bilan plus réaliste de la situation.
Formation et développement :
Dans le domaine de la formation, il me paraît essentiel de s’inspirer des travaux sur les neurosciences afin d’adapter les techniques d’apprentissage au fonctionnement du cerveau.
Gestion des connaissances :
D’après moi, la transmission des connaissances ne devrait pas se limiter au passage de flambeau d’un futur retraité vers son remplaçant, tout simplement parce que les départs à la retraite ne sont pas les seules sources de départs. Pour éviter la fuite de savoirs, on peut notamment travailler sur la rédaction de « modes d’emploi » procéduraux, rendre les classements de dossiers ‘user-friendly’, etc.
Dans le cas spécifique de la transmission seniors-juniors, l’administration fédérale a rédigé un Guide méthodologique seniors-juniors : organiser la transmission des savoirs.
Évaluation du personnel :
Contrairement à une tendance actuelle circulant sur internet (effet de mode ?), qui consiste à affirmer qu’il faut supprimer l’évaluation, je maintiens l’idée qu’elle est utile.
Dans le cadre de l’évaluation, 3 outils me semblent être des pistes à exploiter :
- Le 360° feedback : il permet plus d’objectivité, et se solde par un plan d’évolution (parfois accompagné d’un coaching).
- L’évaluation d’équipe : elle permet d’évaluer la performance et le fonctionnement du groupe (qui est peu prise en considération dans l’évaluation individuelle).
- Le portfolio professionnel : plutôt que de se baser sur des impressions vagues, des préjugés éventuels, etc., le portfolio amène le travailleur à tracer ses productions les plus remarquables pour servir de base concrète et tangible à l’évaluation.
Existe-t-il en Belgique une proportion d’entreprises qui utilise des pratiques non scientifiques voire irrationnelles en matière de recrutement, telles que la graphologie, l’astrologie, la numérologie ? Si oui, pourquoi et, si non, comment l’expliquez-vous ?
À ma connaissance, il n’existe pas de chiffres officiels sur le pourcentage d’utilisation de telles techniques. Cependant, sur internet, on peut voir une série de graphologues faire la publicité de leurs services à des professionnels, donc je suppose qu’ils doivent avoir des clients (je n’ai jamais personnellement vu d’astrologue ou de numérologue vendre des services dans la sphère professionnelle).
Mais le problème est bien plus étendu. Par exemple, un test de personnalité peut très bien être validé scientifiquement sans pour autant fournir des informations adaptées et exploitables pour un recrutement. De manière plus large, un recruteur non formé à la GRH (c’est notamment le cas lorsqu’un manager recrute par lui-même) peut penser savoir recruter (« tout le monde sait lire un CV », se dit-il), mais commet généralement beaucoup d’erreurs de jugement, et ce, à toutes les étapes du processus (constitution du profil, présélection, épreuves de sélection et sélection finale).
À mes yeux, ce problème-là est bien plus grave que celui cité dans la question, car là, le manque d’objectivité et de rigueur est flagrant, et peut occasionner de la discrimination, beaucoup d’erreurs de casting, etc.
Les situations d’évaluation des personnes (pour le recrutement, la formation, la mobilité professionnelle et l’évaluation des performances) sont-elles légalement encadrées en Belgique ? Si oui en quoi consiste le cadre juridique ? Si non, pourquoi selon vous ?
La législation concernant les processus de recrutement, mobilité, formation et évaluation concernent essentiellement l’aspect de non-discrimination, d’égalité des chances et de gestion de la diversité. Le but de la législation et de lutter contre la discrimination directe et indirecte envers les groupes cibles concernés par les critères protégés.
Mais hormis ce volet anti-discrimination, la Belgique pourrait en effet légiférer sur des aspects plus généraux de ces processus, définir un cadre déontologique pour les professionnels RH (et non-RH), écarter certaines pratiques peu pertinentes, etc.
Existe-t-il en Belgique, comme c’est le cas en France, une obligation de produire un Bilan Social dans les entreprises de plus de 300 salariés ? Si oui, son contenu est-il le même ? Avez-vous des remarques à son sujet ?
Les employeurs du secteur privé tenus d’établir des comptes annuels sont soumis à la législation comptable, et doivent fournir un bilan social à la Banque Nationale de Belgique.
Ce bilan social reprend les informations suivantes :
- Nombre d’hommes et de femmes actuellement dans l’entreprise (ventilés en temps plein, temps partiel, et total en équivalents temps plein).
- Nombre d’hommes et de femmes entrés et sortis, par niveau d’études.
- Nombre d’hommes et de femmes recrutés par plans d’aide à l’embauche.
- Nombre d’hommes et de femmes ayant suivi une formation, par nombre d’heures et coût.
- Nombre d’hommes et de femmes ayant exercé de la formation interne, de l’accompagnement ou du tutorat, ou ayant bénéficié d’une telle activité, et nombre d’heures.
- Type de contrat et niveau d’études des hommes et des femmes recrutés ; type de contrat, niveau d’études et motif de fin de contrat des hommes et des femmes sortants.
Les employeurs du secteur privé de minimum 100 personnes doivent fournir au Conseil d’entreprise les informations portant sur la structure de l’emploi (par sexe, groupe d’âge, catégorie professionnelle et division), et les prévisions d’emploi. Les employeurs du secteur privé de minimum 100 personnes dont les syndicats en ont fait la demande au Conseil d’entreprise doivent fournir un rapport annuel sur l’égalité des chances entre les hommes et les femmes (et ce, indépendamment d’un éventuel Plan de diversité existant). Ce rapport doit aborder les rubriques (ventilées par sexe) liées aux conditions d’engagement, aux conditions d’emploi, des régimes de travail, des fonctions, de la formation, des chances de promotion, de la qualification, des conditions de travail et de la rémunération des hommes et des femmes.
Que recommandez-vous pour optimiser/rendre efficace le processus d’intégration de nouveaux collaborateurs ?
Différents outils existent en matière d’intégration des nouveaux travailleurs (onboarding) :
- La brochure d’accueil donne toutes les informations officielles à propos de l’employeur.
- La session informative d’accueil (welcome day) est l’occasion de faire connaître les interlocuteurs-clé de l’institution (DRH, Conseiller en prévention, Responsable Diversité, Responsable Qualité, Responsable Développement durable ou RSE…), leurs rôles respectifs et expliquer en quoi ils sont des personnes-ressources.
- La check-list rappelle au manager tous les détails pratiques et pédagogiques auxquels il faut penser avant, pendant, et au terme de la période d’intégration du nouveau travailleur.
- Le tutorat à l’embauche permet au nouveau travailleur de bénéficier d’un accompagnement par un pair de la même entité, et recevoir des explications formelles sur le métier, les procédures, etc., ainsi que des explications informelles sur la culture d’entreprise, les us et coutumes, etc.
- Le carnet d’étonnement est un calepin où le nouvel arrivant est invité à noter ce qui l’interpelle, et d’en discuter ensuite (de son côté, il peut recevoir les éclaircissements ; de l’autre côté, l’interlocuteur peut recevoir un feedback relativement neutre issu d’un regard neuf).
Quelles sont les pratiques/initiatives les plus appréciées/remarquées en Belgique en matière de promotion de la diversité ?
Je citerai notamment les initiatives suivantes :
- Duo for a job met en lien des jeunes chercheur(euse)s d’emploi issus de l’immigration et des mentors (de plus de 50 ans), dans le cadre de leur recherche d’emploi et dans une optique de lien intergénérationnel et interculturel.
- Le Guide Mettre au féminin – Guide de féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre invite les rédacteurs à décliner au masculin et au féminin les intitulés de poste dans tous leurs actes de communication.
- La Brochure pour les papas vise à sensibiliser les parents sur une meilleure répartition dans la prise en charge de l’éducation des enfants, de manière à promouvoir davantage d’égalité professionnelle hommes/femmes.
- Wheelit est un jobboard spécialisé qui réunit les candidats porteurs d’un handicap et les employeurs désirant recruter davantage de personnes handicapées.
- All genders welcome campain est une campagne de sensibilisation à la diversité des orientations sexuelles auprès des travailleurs des administrations publiques.
Quelles sont les bonnes pratiques, méthodes et outils utilisés par les entreprises pour effectuer le suivi de l’égalité des sexes ?
En matière de suivi, cf. la question n°5 sur le bilan social (qui comprend des informations sur la diversité de genre). Notons également le guide de classification de fonctions sexuellement neutres, qui aide à ré-analyser les critères de classification de fonction, en valorisant de manière plus juste les compétences respectives des hommes et des femmes. Enfin, il existe le Wo.Men@Work Award, qui vise à valoriser les pionniers de l’égalité professionnelle en matière de genre.
Qu’est-ce que le psychologue a de plus qu’un coach ?
En termes de cursus, le psychologue doit suivre 5 ans d’études (Master 120), et pour ce qui est de la Belgique : adhérer à la Commission des psychologues. Quant au coach, il doit suivre une formation généralement certifiante, mais de plus courte durée. La différence entre ces professions se situe surtout au niveau du champ d’action. De manière très schématique (la réalité est plus nuancée et mériterait un article complet sur le sujet), on peut effectuer la distinction suivante :
- Le psychologue clinicien peut établir un diagnostic psychopathologique, et effectuer auprès de son client un travail de fond, le plus souvent vis-à-vis de dysfonctionnements et/ou de situations qui génèrent de la souffrance. Ce travail se focalise habituellement sur le passé du client et les conséquences sur le présent.
- Le psychologue du travail et des organisations peut exercer différentes fonctions RH (intervenant pour les dysfonctionnements organisationnels, change manager, conseiller en prévention des risques psychosociaux, concepteur de tests et outils d’évaluation…), en s’appuyant plus particulièrement sur son bagage de psychologie scientifique.
- Le coach (qu’il soit life coach ou business coach) aide son client à atteindre des objectifs (personnels ou professionnels), effectue un travail endéans un nombre de séances limité, et définit le cadre de l’intervention à l’aide d’un contrat. Le travail se focalise sur le présent et l’avenir du client.
Que pensez-vous du concept du bonheur au travail ?
Le moins qu’on puisse dire est que la souffrance au travail est palpable. Tenir compte du bien-être au travail devient donc trivial. L’un des 7 piliers de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE), d’après la norme ISO 26000, fait d’ailleurs référence aux « Relations et conditions de travail ».
Le terme « Bonheur » au travail me semble très ambitieux. En termes de bonheur général (celui de la vie de tous les jours), il existe bien sûr des principes avancés par des philosophes, auteurs d’ouvrages sur le développement personnel, etc., mais, il n’existe pas vraiment de panacée. La voie vers le bonheur est toujours unique à chaque individu. Sachant que tout un chacun peine à définir (et atteindre !) la notion de bonheur, il me paraît d’autant plus compliqué de parler de « bonheur » au travail. Il faudrait sans doute opter pour un autre mot (« épanouissement » au travail par exemple).
Si on pousse le raisonnement à l’extrême, bonheur et travail peuvent même apparaître comme deux concepts antinomiques. Inutile de rappeler que le mot « Travail » est issu du mot latin « Trepalium », qui signifie instrument de contrainte, voire de torture. Dans la même logique que « le meilleur déchet est celui qu’on ne produit pas » (cf. le recyclage, c’est bien, le zéro déchet, c’est encore mieux), on pourrait dire que « le meilleur travail est celui qui n’existe pas » (cf. concept du revenu de base).
Dans tous les cas, il y a lieu de garder à l’esprit qu’« il faut travailler pour vivre, et non vivre pour travailler ». Chaque individu a donc tout intérêt à ne pas tout miser sur sa sphère professionnelle, à ne pas s’identifier à son job, et à investir d’autres champs de vie. Pour faciliter davantage d’épanouissement au travail, je pense qu’il existe 3 clés (parmi d’autres) :
- L’expérience optimale (ou « flow ») permet au travailleur d’avoir des défis stimulants car adaptés à son niveau de maîtrise (ni trop facile ni trop difficile).
- La possibilité de pouvoir déployer ses talents est essentielle pour un travailleur, car c’est uniquement dans ces moments qu’il peut être en phase avec lui-même, sans devoir se fondre au moule, au chausse-pied, de l’employeur (même si cela n’exclut pas d’acquérir ou de développer des « compétences standard »).
- Donner du sens au travail (ou permettre au travailleur de lui en donner) est une démarche qui s’impose, d’autant plus dans un contexte de société en crise.
Pour terminer, je dirai que l’épanouissement au travail ne peut être possible que dans une changement global de société. En effet, entre d’une part, le besoin de performance, de rentabilité, la course au profit, etc, et d’autre part, le besoin d’autonomie, d’écoute, de management participatif, etc., le paradoxe est complet. En revanche, les entreprises peuvent contribuer à ce changement global, notamment via leur Responsabilité Sociétale (RSE).
Avez-vous envie d’ajouter quelque chose ?
De nos jours, le mot « talent » est galvaudé. On parle d’acquisition de « talents », de guerre des « talents », de logiciel de gestion des « talents »…, au point de dénaturer le sens du mot à son seul aspect attractif (parler de « talents » est plus vendeur).
Or, il y a une nette différence de concept entre la compétence et le talent. La compétence est ce que l’individu sait faire (ou apprendre), le talent est ce que l’individu sait faire de mieux. Selon que l’entreprise se base sur la notion de compétence, de talent, ou une combinaison des deux, le modèle RH qui en découle est tout autre.