Article mis à jour le 18/05/2016
Dans cet article nous allons vous présenter un phénomène qui touche de plus en plus d’entreprises : la supervision abusive.
Aux Etats-Unis, 13,6 % des travailleurs sont victimes des conséquences d’une supervision abusive (Tepper et coll., 2006). En France, cette terminologie est très peu employée. En effet, on lui préfère l’expression juridique de « harcèlement moral ». Selon Tepper et ses collaborateurs : « La supervision abusive est une forme de harcèlement qui conduit à la détresse psychologique. » (Source 1)
La supervision abusive à également d’autres appellations : la petite tyrannie, la victimisation, la médisance et les agressions du superviseur.
Quelques définitions :
Qu’est-ce que la supervision :
« Une activité dans laquelle un gestionnaire, par la position hiérarchique qu’il occupe, distribue aux employés le travail à accomplir, coordonne les tâches, adopte les mesures nécessaires afin que le travail soit exécuté efficacement, guide les employés pour qu’ils atteignent les objectifs fixés et évalue périodiquement, de façon formelle ou informelle, le rendement des employés. » (Lamaute 2004)
Qu’est-ce que la supervision abusive :
« Toutes actions non physiques telles que les sauts d’humeurs, la médisance publique, le fait de s’approprier les idées des autres ou de rendre le subordonné responsable des fautes qu’il n’a pas commises. » (Tepper, 2007)
La supervision abusive est liée à un déséquilibre entre superviseur-subordonné.
La supervision abusive correspond à la perception subjective qu’a le subordonné des comportements de son/ses superviseur(s).
Elle se manifeste de différentes façons :
- par le regard,
- par l’expression du visage,
- ou par la posture du corps.
Mais aussi :
- sous forme d’humiliation,
- par l’utilisation de noms péjoratifs,
- par le recours à des cris,
- par une volonté de blesser / vexer son collaborateur,
- ou encore, par le fait d’ignorer celui-ci (par exemple, en refusant de lui confier des missions, en le mettant de côté…)
Pour qualifier une supervision d’abusive, il faut que ces comportements hostiles soient fréquents et répétés sur une longue période.
La supervision abusive engendre de moins bonnes relations au travail ainsi qu’un climat hostile. Elle peut avoir des conséquences au niveau individuel, relationnel mais aussi organisationnel.
Que dit la loi ?
En France, selon la loi du 17 janvier 2012 :
« Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. » (Source 5)
Par ailleurs, l’article 222-33-2 du code pénal réprime comme suit, le harcèlement :
« Le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende.»
Les conséquences :
- Individuelles
- Relationnelles
- Conflits travail-famille : déplacement de l’agression sur la famille, interactions négatives, etc.
- Mauvaise communication entre subordonné-superviseur.
- Déplacement des comportements agressifs : l’agressivité reçue par le subordonné peut être déplacée sur une cible « innocente » ou encore sur ses collaborateurs.
- Baisse d’engagement organisationnel : l’attachement et l’identification à l’organisation diminue,
- Dégâts matériels.
- Organisationnelles
- Retards.
- Absentéisme.
- Non-respect des règles organisationnelles.
- Baisse de la productivité au travail.
- Incivilité (impolitesse, manque de respect, etc.).
- Vols de matériel.
- Turnover.
- Baisse de motivation au travail.
(Source 1).
Pourquoi y a-t-il supervision abusive ?
- L’injustice organisationnelle :
« Le concept de justice organisationnelle est utilisé pour décrire le rôle de l’équité quand elle est directement liée au monde du travail. Plus précisément, la justice organisationnelle se préoccupe de la façon dont les employés déterminent s’ils sont traités équitablement dans leurs emplois et les façons dont ces déterminations influencent d’autres variables liées au travail. » (Source 3)
Un sentiment d’injustice sur le lieu de travail peut conduire à des émotions négatives, à un sentiment d’inutilité, et par conséquent à de la supervision abusive. Les superviseurs victimes de comportements hostiles de la part de leur direction perçoivent ces comportements comme injustes, et finissent par se venger sur leurs subordonnés (à défaut de pouvoir atteindre leur direction). (Source 1)
- Personnalité du subordonné :
Des chercheurs se sont intéressés aux personnes s’estimant victime d’une supervision abusive.
Leur étude a permis de déterminer deux types de victimes de supervision abusive :
- Les victimes de type « provocant ». Il s’agit de personnes pouvant créer des tensions et des conflits de par leur attitude et leurs émotions. Elles sont hostiles, menaçantes et agressives.
- Les victimes ayant une faible estime de soi, étant passives, nerveuses, insécures et anxieuses.
Des traits de personnalité prédisposeraient ainsi certains individus à faire l’objet d’une supervision abusive.
Plus tard, une étude de Henle et Gross en 2014, a montré que les personnes ayant un score bas de conscienciosité et de stabilité émotionnelle au test du Big Five, rapportaient beaucoup plus de supervision abusive :
- les personnes n’ayant pas ou peu de conscienciosité sont facilement distraites et désorganisées ; par conséquent, les superviseurs ont besoin de les guider et de se montrer plus rigides afin d’éviter d’éventuels abus de leur part.
- Les personnes avec une faible stabilité émotionnelle ont tendance à être facilement en détresse émotionnelle, et à réagir de façon hostile même lorsque la situation ne le justifie pas. (Source 2)
- Le type de leadership :
Le leadership autoritaire : « Le leadership est la capacité à influencer un groupe d’individus en vue d’atteindre des objectifs communs (Yukl, 2010). Le leadership autoritaire (l’autoritarisme) décrit le comportement du leader qui exerce l’autorité et le contrôle absolus sur ses subordonnés, et exige l’obéissance indiscutable de ces derniers (Aryee, 2007). » (Source 1)
Un leadership autoritaire provoque la perte du sentiment de liberté et par conséquent, contribue à une impression de supervision abusive.
- L’exclusion morale :
Le superviseur a tendance à abuser les subordonnés qu’il perçoit comme différents de lui (en termes de valeurs, d’attitudes et d’opinions).
- Les comportements déviants :
Un comportement déviant de la part des subordonnés pourra entraîner une réaction hostile chez le superviseur, et par conséquent provoquer la perception d’une supervision abusive. (Source 4)
- Le type d’organisation culturelle :
(L’organisation culturelle correspond aux symboles, idéologies, règles et valeurs de l’organisation).
On peut distinguer 2 types de cultures :
- la culture de la performance : la rentabilité, la compétition et le dévouement au travail sont primordiales dans ce type de culture.
- la culture des relations sociales : la coopération, la collaboration, la confiance mutuelle, la flexibilité et la satisfaction au travail sont privilégiées. Les relations interpersonnelles y sont également très importantes.
Selon une étude canadienne de 2013, les entreprises ayant une culture organisationnelle basée sur la performance, seraient davantage victimes de supervision abusive. (Source 1)
Afin de prévenir la supervision abusive, différentes solutions peuvent être mises en place.
Comment éviter la supervision abusive ?
- Récompenser les superviseurs et les subordonnés pour leur travail et les encourager. Avec un sentiment d’utilité élevé, les superviseurs et/ou les subordonnés ne percevront pas de supervision abusive.
- Proposer des formations aux superviseurs de sorte à encourager le leadership qui correspondra le mieux à leurs situations et, à éviter l’usage d’un leadership autoritaire si ce dernier n’est pas nécessaire.
- Sensibiliser les subordonnés aux comportements qui sont de nature à générer ou à limiter la survenue de la supervision abusive.
- Améliorer les conditions de travail des superviseurs et des subordonnés afin de développer le sentiment de bien-être au travail : un superviseur/subordonné satisfait au travail ne percevra pas de supervision abusive.
- Mettre à disposition des programmes de développement personnel au profit de la gestion des émotions. Grâce à eux, les individus sauront quand il faut ou non s’impliquer émotionnellement au travail. Ceci pourra diminuer considérablement les émotions négatives et par conséquent, les risques de perception de supervision abusive.
- Formaliser la charte éthique de l’entreprise dans laquelle rappeler :
- les droits et les devoirs des employés et des superviseurs,
- l’obligation de prévention incombant à l’employeur et les mesures prises par lui en la matière, ainsi que les textes de loi de référence. (Source 5)
Conclusion :
La supervision abusive est un cercle vicieux. Un individu abusé peut à son tour abuser un collègue.
Chaque année, aux États-Unis, on estime à environ 23,8 milliards de dollars les conséquences de la supervision abusive. (Source 1)
Ce phénomène aux lourdes conséquences peut être endigué grâce aux diverses solutions proposées ci-dessus.
Il faut soutenir les subordonnés ainsi que les superviseurs qui sont souvent perçus (à tort) comme entièrement responsable de la supervision abusive.
Sources :
1. Culture organisationnelle et supervision abusive : http://ow.ly/4nuUsg
2. What have I done to deserve this? Effects of employee personality and emotion on abusive Supervision: http://ow.ly/4nuUSh
3. Théorie de la justice organisationnelle : http://ow.ly/4nuUcI
4. Qui blâmer pour la supervision abusive ? : http://ow.ly/4nuU2G
5. Grebot, E., (2008) Stress et burnout au travail : identifier, prévenir, guérir. Editions Eyrolles, 147-148
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Auteure de ce billet : Diana Todoroska
Stagiaire chargée de communication et marketing chez SpotPink pour une durée de 2 mois. Actuellement en Master 1 de Psychologie Sociale Appliquée à l’université Paris Ouest, je m’intéresse aux risques psychosociaux et plus particulièrement au stress au travail ainsi qu’au burn-out. Je suis passionnée de cinéma et de musique.