Article mis à jour le 13/04/2017
Maël Bernagaud, psychologue du travail, consultant et formateur expert santé et qualité de vie au travail a accepté de répondre à nos questions sur sa nouvelle Échelle Courte de Mesure de la Santé Psychologique au Travail (ECMSPT).
Maël Bernagaud pouvez-vous vous présenter et nous expliquer quelles sont vos spécialités et activités ?
On connait tous des entreprises qui sont en plein développement et dans lesquelles les salariés se sentent à l’aise, sereins et fiers de travailler pour leur boîte. Et on en connait d’autres où le climat est moins bon et où règnent des tensions… Mon travail consiste à proposer des solutions pour que ces « autres » entreprises deviennent de futurs modèles de réussite.
Plus concrètement, j’ai 26 ans, je suis psychologue du travail et j’exerce comme consultant et formateur indépendant. J’interviens auprès d’entreprises diverses sur la promotion de la santé et de la qualité de vie au travail et notamment dans le cadre de la réalisation de diagnostics RPS (Risques Psychosociaux) qui sont obligatoires dans toutes les entreprises[1].
Quelles instruments de mesure utilisez-vous dans le cadre de votre pratique ?
Les outils des psychologues du travail sont nombreux. J’utilise une palette d’outils standardisés mais pour mieux m’adapter aux problématiques de terrain, il m’arrive de créer mes propres outils.
Par exemple, j’ai récemment conçu une Échelle Courte de Mesure de la Santé Psychologique au Travail (appelé logiquement ECMSPT).
L’échelle ECMSPT est accessible par ce lien (navigateur web à jour requis).
Pourquoi avoir souhaité concevoir une échelle (courte) de mesure de la santé psychologique au travail ?
Tout part d’un constat assez simple. J’ai remarqué qu’il règne de nombreuses confusions entre les concepts de RPS et leurs conséquences (stress, engagement envers l’entreprise, motivation, burnout, etc.), et celui de la qualité de vie au travail. Ces confusions peuvent pousser les entreprises à ne se saisir que de l’un des sujets. Le résultat est que l’on peut se retrouver avec des salariés sereins sur leur poste de travail mais qui exercent un métier qu’ils trouvent ennuyeux, ou à l’inverse avec des salariés qui sont intéressés par leur travail mais qui n’arrivent pas à exercer leur métier comme ils le souhaiteraient. Dans les deux cas, les démarches initiées ne portent pas leur fruit et sont donc inutilement coûteuses pour les salariés et pour les employeurs.
Pour mieux faire le lien entre les concepts de risques psychosociaux et de bien-être au travail, j’utilise la notion de santé psychologique au travail. Je m’appuie principalement sur les travaux de l’équipe canadienne (Gilbert, Dagenais-Desmarais et Savoie[2]). J’ai trouvé particulièrement pertinent d’étudier les effets des évènements survenant au travail sur la santé psychologique au travail des salariés. Autrement dit, de partir du vécu réel du travail, et d’en étudier les effets concrets sur la santé des travailleurs. J’ai alors développé une méthode de diagnostic qui consiste d’une part, à identifier les événements de travail qui sont facteurs de RPS ou au contraire de bien-être au travail (observation de postes, entretiens, etc.) et d’autre part, à étudier les liens entre ces facteurs et le niveau de santé psychologique au travail des employés.
Cette méthode comprend deux principaux intérêts :
- distinguer les facteurs de mal-être des facteurs de bien-être,
- limiter la subjectivité dans l’évaluation, puisque l’on traite des situations objectives et des niveaux de santé psychologique qui sont mesurés.
La principale limite à cette méthode était que l’indispensable mesure de la santé psychologique au travail ne pouvait se faire que par l’échelle de mesure de la santé psychologique au travail, développée par Gilbert, Dagenais-Desmarais et Savoie (2011) comprenant 45 items. Autrement dit, cette échelle était bien trop longue pour être utilisée dans mes interventions.
Comme suite de ce cheminement que j’ai donc souhaité créer une échelle courte de mesure de la santé psychologique au travail (qui, elle, compte 12 items) tout en gardant des qualités psychométriques respectables.
Qu’est-ce que la validité convergente, divergente, critérielle et de structure d’un outil psychométrique ?
Votre question concerne les aspects techniques. Prenons l’exemple de l’outil que j’ai élaboré : il existe déjà des outils de mesure de la santé psychologique, mais l’intérêt de celle que je développe réside dans sa taille. Cependant, il me faut obtenir avec cette échelle courte des résultats semblables à ceux que l’on aurait obtenus avec l’outil standardisé (échelle longue). C’est la validité convergente.
En revanche, si en utilisant mon outil on obtient les mêmes résultats qu’en utilisant un outil qui mesure un concept différent, alors il y a un problème de validité. Par exemple, si mon outil (mesure de la santé psychologique) donne exactement les mêmes résultats qu’un outil qui mesure la satisfaction au travail, alors il y a un problème (rassurez-vous, ce n’est pas le cas).
Enfin, on sait que la détresse psychologique au travail provoque des symptômes tels que des troubles du sommeil, de l’appétit, des troubles musculo-squelettiques, etc. Pour que mon outil soit valide, il faut donc qu’il soit capable de prédire ces symptômes. C’est la validité critérielle (ou prédictive).
Comment et pourquoi avez-vous validé les qualités psychométriques de votre test ?
Dans la plupart des démarches RPS ou SQVT, c’est l’expert (généralement le consultant) qui évalue si une situation est nocive pour les salariés ou non. La démarche que je propose tente de limiter les biais liés à une évaluation subjective. Il faut donc que je m’assure que mon outil mesure bien la santé psychologique au travail de façon objective. Valider les qualités psychométriques de mon questionnaire est un gage de sérieux de ma démarche, ainsi que de crédibilité et de confiance pour mes clients.
La validation des qualités psychométriques de l’ECMSPT s’est effectuée en 3 grandes étapes :
- Validé apparente : en confrontant les items préalablement choisis à un groupe d’experts.
- Validité convergente : un panel de plus de 150 personnes à complété l’ECMSPT, puis l’outil de mesure de la SPT développé par Gilbert, Dagenais-Desmarais et Savoie (2011), afin de vérifier la convergence des résultats entre les deux outils de mesure.
- Enfin, un panel de plus de 1 500 travailleurs ont complété l’ECMSPT, ainsi qu’un questionnaire reprenant les critères objectifs de stress, de satisfaction, d’engagement et de désengagement au travail, etc. Cette étape a permis de valider la structure du questionnaire, sa sensibilité ainsi que ses qualités prédictives.
Quels premiers résultats et conclusions avez-vous tiré de la réalisation du protocole de test de validité, fiabilité et sensibilité de votre outil ?
A ce jour, les premiers tests de validité sont satisfaisants : l’ECMSPT mesure bien la santé psychologique au travail. La sensibilité est acceptable au vu du faible nombre de questions (items) du test. Je développerai cette partie dans un article prochainement.
Par quels types de professionnels votre outil pourrait-il être utilisé et exploité ?
L’objectif de ce questionnaire est d’être accessible en libre accès. Sur le principe, tout le monde pourra l’utiliser à condition de respecter quelles conditions (citation de l’auteur, référencement, respect de quelques règles simples).
Cet outil est créé en priorité pour des experts en santé psychologique au travail qui souhaitent utiliser une méthode similaire à la mienne pour effectuer leur diagnostic SQVT.
Quels sont les applications et les usages qui pourront être faits de votre échelle (destinataires, contextes, type de restitution et intervention avant/après passation) ?
L’utilité première de ce questionnaire est de compléter ma méthode de diagnostic RPS / bien-être. Affilié à un questionnaire de situation, il permet de vérifier le caractère « salutogène » ou pathogène d’événements de travail, et donc de mesurer les RPS (fréquence et gravité).
Il peut être complété par l’ensemble des salariés, et les résultats sont intégrés au diagnostic.
Quels sont vos projets pour la suite ?
A court terme, j’aimerais publier un article reprenant l’ensemble de la démarche afin d’avoir le retour d’experts et d’assoir la validité et la réputation de cet outil.
Par la suite, je compte continuer à développer et à promouvoir cette méthode de diagnostic SQVT, en développant peut-être une formation (en ligne ou présentielle).
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Maël Bernagaud, psychologue du travail, consultant et formateur expert santé et qualité de vie au travail.
http://psy-en-entreprise.fr/blog
Twitter : @mb_pto
Linkedin : https://www.linkedin.com/in/mael-bernagaud
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[1] Articles L4121-3 et R4121-1 et 2 du code du travail.
[2] Références :
- Boudrias, J.-S., Savoie, A., Brunet, L., & Dagenais-Desmarais, V. (2013). La santé psychologique au travail : compréhension et intervention fondées sur la recherche. Manuscrit soumis pour publication dans R. Foucher (Éd.) Recréer les relations entre l’humain et les organisations : Susciter l’engagement et le rendement, en harmonie avec la santé psychologique.
- Gilbert, M.-H., Dagenais-Desmarais, V., & Savoie, A. (2011). Validation d’une mesure de santé psychologique au travail. Revue européenne de psychologie appliqué/European Review of Applied Psychology, 61 (4), 195-203.
- Dagenais-Desmarais, V. et Privé, C. (2010). Comment améliorer le bien-être psychologique au travail ? GESTION, revue internationale de gestion, 35 (3), 69- 77.
- Gilbert, M-H. (2009). La santé psychologique au travail : conceptualisation, instrumentation et facteurs organisationnels de développement (thèse).