Une nouvelle révolution industrielle
Tous les chamboulements induits par le numérique dans la réalisation de toutes les activités font que la transition numérique est désormais qualifiée de façon consensuelle de 4ème révolution industrielle.
Le numérique, ses outils, ses bénéfices et ses contraintes, font désormais partie de la vie de près de 3 milliards d’internautes dans le monde dont 50 millions en France.
Selon cette source [1], 71% des internautes français âgés de plus de 15 ans étaient équipés en 2016 d’un smartphone (contre 64% deux ans plus tôt). En juin 2016, on dénombrait 34,1 millions de mobinautes français.
Mais aussi une ®évolution culturelle majeure
La révolution numérique incarne aussi et surtout une ®évolution socioculturelle…
L’émergence d’un nouveau vocabulaire
L’ère du 2.0 au 4.0 est celle d’un exerce modernisé du travail auquel correspondent de nouveaux acronymes et anglicismes spécifiques :
- ATAWAD : Any Time, Anywhere, Any Device (l’information est ultra-accessible, et les interactions sont possibles partout 24/24h depuis n’importe lequel des appareils connectés à l’Internet).
- Workaholisme : addiction comportementale dont certains facteurs de risque peuvent être liés à l’organisation du travail.
- Blurring : brouillage de la frontière entre vie professionnelle et vie privée qui résulte de l’évolution des modes de vie et touche particulièrement les cadres connectés (utilisateurs d’appareils et de réseaux numériques).
- FoMO « Fear of Missing Out » : peur de manquer une nouvelle importante (issue de l’actualité en général ou de l’activité de ses amis), de ne pas avoir connaissance d’un évènement qui constituerait une opportunité d’interagir socialement, ou encore, de passer à côté d’une opportunité commerciale (réduction, avantage, avant-première, etc.).
- FoBO « Fear of Being Offline » : peur de ne pas être (pouvoir être) connecté(e) à Internet (via le Wifi ou autre).
- Phubbing : « télésnober », acte d’ignorer des personnes physiquement présentes en consultant son téléphone plutôt que de communiquer avec elles.
- Burnout (épuisement professionnel) : état de fatigue émotionnelle, mentale et physique intense, caractérisé par un manque de motivation, d’énergie et de performance qui peut survenir après des mois ou voire des années de surmenage ; Il s’agit d’une « consumation » par excès d’investissement.
- Brown-out : écartèlement psychique (état de dissonance cognitive) correspondant à une baisse de courant psychique et à une sorte de dévitalisation provoquée par l’absurdité quotidienne des tâches à accomplir au travail.
- Bore-out : ennui au travail.
- Karoshi : mort subite de cadres ou d’employés de bureau, par arrêt cardiaque consécutif à une charge de travail ou à un stress trop important. Le Karoshi est reconnu comme une maladie professionnelle au Japon depuis les années 1970 (Source : Wikipédia).
Après l’euphorie, un horizon qui s’assombrit…
Les mérites vantés par certains du « tout numérique » sont aujourd’hui ternis par les effets néfastes du numérique observés par d’autres sur la vie personnelle (familiale, affective) et/ou professionnelle pour un pourcentage croissant d’individus [2].
La cyberdépendance et le workaholisme
Selon David Greenfield, psychologue américain et auteur du livre Virtual Addiction, 6% des utilisateurs souffre d’une forme quelconque de dépendance à Internet (soit en 2016, près de 204 millions de personnes pourraient, d’après son hypothèse, être dépendantes d’Internet. Leur addiction se manifesterait par le clavardage, le courrier électronique, le cybersexe, les achats en ligne, la navigation complusive…).
La sur-sollicitation et les interruptions permanentes
- 43 % des salariés français sont interrompus au moins toutes les dix minutes et 31 % avouent être distraits dans leur travail (Créfac).
- Puisqu’il faut en moyenne 64 secondes pour reprendre le fil de sa pensée après l’interruption par un message, on mesure bien comment les écrans et les notifications (personnelles et/ou professionnelles), peuvent « déporter le salarié de son dossier » [3].
Le stress et le fléau de l’e-mail
- « Le stress induit par la nécessité impérieuse de répondre aux courriels affecte en moyenne 48% des travailleurs, et ce nombre se porte à 54% dans les organisations comptant plus de 500 employés », selon IBM [4].
- En France et en 2015, les Français étaient 74% à consulter leurs messages professionnels en dehors des heures de bureau [5].
Le blurring
- Les comptes de messagerie personnelle sont vérifiés au travail par 88% des individus, 61% des personnes interrogées lisent des courriels pendant leurs vacances et l’e-mail est utilisé pour travailler en dehors des heures de bureau par 79% des individus (Etude Adobe, octobre 2016).
- Le fait pour les cadres d’avoir accès à leurs communications professionnelles pendant leurs congés ou leurs week-ends est principalement considéré comme un facteur de stress pour près de la moitié d’entre eux (48%).
- Cet accès permanent est d’abord considéré par 34% des cadres comme une source d’agacement pour les proches.
- Au total, 82% des cadres mettent en avant une perception anxiogène.
Savoir optimiser son utilisation des outils numériques, dans et en dehors du contexte professionnel, est une compétence à part entière. Apprendre à faire face à l’obésité informationnelle, à traiter ses notifications, à gérer ses priorités et son emploi du temps mais aussi, savoir se déconnecter, permet à l’individu d’être plus serein et plus efficace dans l’exercice de son travail et dans les rapports qu’il entretient aux outils numériques.
Une pratique intensive et/ou inadaptée des médias sociaux et des technologies de la communication, peut favoriser l’apparition de symptômes psychologiques et physiques, susceptibles d’impacter la sphère professionnelle et/ou personnelle.
Les manifestations (physiques et psychologiques) de stress, les conduites addictives, celles d’évitement, les inhibitions, les réactions agressives, le sentiment de détresse… sont des exemples de manifestations d’une souffrance psychique.
Des pouvoirs publics qui s’en mêlent…
Attendu que :
- l’insuffisance de repos cognitif est dommageable à l’ « homo connectus »,
- 23% seulement des cadres se déconnectent systématiquement en dehors de leur temps de travail (un tiers le fait rarement) selon une étude APEC (décembre 2014),
- 89% des cadres estiment que les outils connectés contribuent à les faire travailler hors de l’entreprise,
un droit à la déconnexion a été rendu obligatoire applicable à tous les salariés à compter du 1er janvier 2017 dans toutes les entreprises.
Les entreprises sont donc à présent tenues de mettre en place des instruments de régulation de l’outil numérique et d’ouvrir les négociations au sein des entreprises sur les modalités d’exercice du droit à la déconnexion telle qu’elle est inscrite dans la LOI n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels (publiée le 9 août 2016 au JORF n°0184) :
- la mise en place d’instruments de régulation de l’outil numérique,
- l’adoption de mesures visant à assurer le respect des temps de repos et de congés ainsi que l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle et familiale,
- le droit d’expression directe et collective des salariés notamment au moyen des outils numériques disponibles dans l’entreprise.
Le code du travail : Risques professionnels, RPS et pénibilité
Par ailleurs, l’employeur doit évaluer les risques professionnels qui n’ont pas pu être évités, et retranscrire les résultats de cette évaluation dans le DU (Document Unique d’évaluation des risques professionnels).
Les Risques Psychosociaux (RPS) sont à évaluer au même titre que les autres risques professionnels. Or, les risques liés à un usage intensif ou inadapté des technologies de l’information et des outils numériques entrent dans la catégorie des RPS.
L’employeur a l’obligation légale de prendre les mesures nécessaires à la prévention de la pénibilité au travail. L’organisation d’actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail peut être effectuée de façon complémentaire à l’information et à la formation des salariés exposés aux facteurs de pénibilité.
L’obligation générale de sécurité incombant à l’employeur vis à vis de ses salariés est “déléguée” aux professionnels des ressources humaines qui ne peuvent plus désormais ignorer les risques associés à une pratique intensive des médias sociaux (que celle-ci soit professionnelle et/ou personnelle).
L’article L4121-1 et les suivants du code du travail précise notamment que “L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.”
La législation actuelle est encore perfectible
La réforme de la pénibilité a oublié le cerveau des cadres !
Le cerveau est le premier outil de travail du cadre. Pourtant, étonnement et paradoxalement, il s’agit du plus grand oublié de la réforme portée par la LOI n° 2014-40 du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites [6].
En effet, aucun facteur de risque et aucun niveau d’exposition est associé à l’utilisation du cerveau dans cette réforme qui visait cependant à garantir la justice du système de retraites !
Ainsi, en voulant réduire les injustices dans le système précédent des retraites, le législateur en a finalement créé une nouvelle. Pourtant, le cerveau et sa matière grise constituent l’une des plus grandes richesses du capital d’une entreprise. C’est pourquoi il est nécessaire d’en prendre soin.
La loi travail
Du reste, la loi travail ne prévoit pas non plus de pénalités directes ou spécifiques pour les entreprises au sein desquelles la négociation portant sur un doit à la déconnexion n’aboutirait pas. En ce cas, l’entreprise est simplement tenue d’élaborer et de diffuser une charte relative aux règles et usages des outils numériques et aux mesures de régulation se rapportant à la connexion et au droit à la déconnexion. [Note de l’auteure] En ce cas précis, il est d’ailleurs fortement recommandé de mentionner l’existence de cette charte et/ou son contenu dans le règlement intérieur de l’entreprise.
Le législateur semble donc réticent et relativement incompétent pour considérer le cerveau des cadres ou de certains employés comme leur principal outil de travail, au même titre que le sont les membres supérieurs et inférieurs des ouvriers par exemple.
Un message que les DRH peuvent faire passer aux cadres
Tandis que les cadres sont les grands oubliés de la loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites, les managers et les professionnels des ressources humaines peuvent faire passer en entreprise un message dont la nature est la suivante : [Read more…] about #DRH Comment concilier transformation numérique et QVT tout en négociant un droit à la déconnexion ?