Article mis à jour le 05/12/2022
« La France est paralysée depuis 6 jours », voici ce que retiendront une majorité de Français (dont ceux qui passent le Baccalauréat aujourd’hui) de ce nouveau mouvement social. Quels sont les motifs de cette grève ? L’Europe décide d’ouvrir les marchés nationaux de transport de voyageurs. Or, celui de SNCF est ancré dans un contexte monopolistique depuis 1938. SNCF se retrouve dans une situation exceptionnelle qui génère une appréhension d’autant plus exacerbée que la grève dure depuis maintenant 6 jours et que celle-ci n’a pas été interrompue au motif de la situation des bacheliers (examen national de Français ou de philosophie). La réforme ferroviaire annonce une réunification de la RFF (Réseau Ferré de France) et de SNCF, pour notamment recouvrir la lourde dette actuelle estimée à plus de 44 milliards d’euros. Les conditions de travail des cheminots subiraient alors des modifications. Enregistrant 27% de grévistes à son commencement, la grève mobilise aujourd’hui 14% du personnel de la SNCF et coûte d’ores et déjà plus de 80 millions d’euros à la SNCF. Dans la perspective de comprendre les raisons qui ont mené à cette situation et d’aborder la question du dialogue social, nous avons souhaité interviewer une personne de la SNCF.
Interview de Jérémy Woittequand
Après 3 années passées en alternance au sein de la SNCF, Jérémy a obtenu un Bac+3 Responsable de Projets Communication Interne/Externe. Jérémy a été embauché en tant que Community Manager du RER C. Il est désormais chef d’escale en gare de Juvisy.
1) Comment se décide et s’organise une grève ?
La Démarche de Concertation Immédiate (DCI) est établie en amont du dépôt d’un préavis de grève pour convenir ou non de l’intérêt de la grève. La réunion de conciliation ne peut intervenir que dans un délai de 3 jours à compter de la réception de la DCI ; laissant ainsi 8 jours pour négocier. Durant cette réunion, Direction et organisations syndicales reviennent sur les raisons de cette DCI et émettent des propositions. La décision d’une grève reconductible ou non est prise, tout en sachant qu’une grève reconductible a généralement plus d’impact. A l’issue de cette réunion de conciliation, est rédigé un relevé de conclusions qui détermine ou non un dépôt de préavis. Une concertation de 5 jours francs a lieu, avant le début de la grève.
2) Le réseau ferré national connait des perturbations de son trafic depuis 6 jours, comment interpréter cela et expliquer cette grève aux Français ?
Une des mesures serait de réunir le Réseau Ferré de France (RFF) et SNCF, en scission depuis 1997, pour le traitement de la dette du système ferroviaire, qui s’élève à plus de 40 milliards d’euros, dont 7 milliards proviennent de la SNCF. Le projet d’ouvrir le secteur ferroviaire à la concurrence prône la construction d’un cadre social commun à l’ensemble du secteur qui garantirait l’absence de concurrence déloyale et accroitrait la performance économique du système. Ce cadre social permettrait d’empêcher le dumping social, avec des entreprises offrant des conditions plus favorables. Selon les cheminots, ce projet de réforme sous-entend une remise en question de leurs acquis sociaux. Au-delà de leurs avantages tels que la gratuité des transports ou encore la date de départ à la retraite, leur préoccupation principale est de voir notamment modifier les conditions de recours au personnel. Parmi les mesures proposées, les cheminots subiraient en effet une perte de 22 jours de repos ainsi qu’une réduction du temps de récupération pour ce qui concerne les déplacements de service. Ceux-ci les contraignent à dormir en-dehors de leur domicile et le temps de récupération alloué passerait de 9h à 8h. La qualité du travail des agents se trouverait dégradée et la sécurité des usagers pourrait en être affectée.
3) Selon vous, ces mesures sont-elles nécessaires pour le recouvrement de la dette ?
Pour réduire le coût de la dette, la SNCF doit générer des gains de productivité importants. Les craintes majeures des cheminots seraient de subir des réductions de postes, une non-reconduction de postes et une augmentation du temps de travail. Toutefois, l’ouverture à la concurrence, pourrait permettre à SNCF de s’engager sur des marchés ferroviaires étrangers, de se développer davantage dans d’autres secteurs d’activités tels que les bus, les locations de vélo, ou encore le covoiturage. En réalité, pour pallier la dette, les agents commerciaux de SNCF pourraient démontrer leur esprit de solidarité en acceptant une légère modification de leurs conditions de travail qui se substituerait à celles des agents affectés à la sécurité. Par exemple, augmenter de 20 minutes le temps de travail des agents aux guichets, permettrait un gain de productivité notable.
4) Le taux de grévistes n’est désormais plus que de 14%. Comment pouvez-vous expliquer ce chiffre ?
Jérémy Woittequand : Les Français ont peut-être l’impression que c’est tout SNCF qui est en grève mais en réalité, ce mouvement qui a impliqué initialement 27% des effectifs ne mobilise plus que 14% d’entre-eux, 6 jours plus tard.
Judith Portron : Vous faîtes bien de rappeler ces nombres dans un contexte où les usagers et les Français pourraient considérer que c’est une grève de plus, et un mouvement supplémentaire qui paralyse la France.
Jérémy Woittequand : La majorité des agents en grève sont ceux affectés à la sécurité tels que les conducteurs, les aiguilleurs ou encore les agents du service commercial. Ce faible taux peut être expliqué par un manque d’information de la part des O.S.. Depuis maintenant quelques mois, SNCF publie des communiqués au sein de l’entreprise et ces efforts de communication sont mis en oeuvre pour que chaque salarié soit informé et soit impliqué dans les décisions.
5) Vous nous parlez de grève intelligente : de quoi s’agit-il ?
Xavier Bertrand disait : « Quand on s’oppose, on doit aussi savoir proposer ». Aujourd’hui, les organisations syndicales n’ont pas de propositions concrètes pour s’opposer aux mesures de la réforme ferroviaire. Les organisations syndicales doivent être plus pédagogues et explicites pour faciliter la compréhension du motif de la grève. La peur du changement, quel qu’il soit, amène les cheminots à une volonté de grève fréquente. L’image de SNCF, plutôt négative, a été ternie par la prolongation de la grève en période de baccalauréat pour les lycéens. Nombreux sont ceux qui pensent qu’offrir la gratuité des transports gratuits durant la grève serait nécessaire, cependant cela est impossible contractuellement.
6) Nous entendons parler du service « Assistance Examens » : que fait concrètement la SNCF ?
En cette période de baccalauréat pour les lycéens, cette grève a un impact psychologique particulièrement fort et attise l’animosité des Français. Pour pallier les désagréments causés par la mobilisation, SNCF a mis en place un dispositif d’assistance exceptionnel pour les lycées. La direction de SNCF a mobilisé 10.000 agents pour assurer l’acheminement des candidats au baccalauréat. Cette solution intègre la garantie des trains et des bus aux moments-clés, un numéro vert de renseignements, un service d’information déployé par des volontaires, la gratuité du covoiturage avec 123envoiture.com ainsi qu’une actualité en temps réel sur les réseaux sociaux via les fils Twitter SNCF_infospresse et SNCF_Direct. Ce dispositif d’assistance, rallié par les syndicats, est une alternative à la situation actuelle afin de démontrer la mobilisation de l’entreprise pour l’intérêt général.
Les organisations syndicales subissent un retard certain dans l’appropriation des réseaux sociaux qui sont pourtant nécessaires à une communication nationale. Ces organisations pourraient par exemple interagir avec la Direction et prouver, par des communications publiques, leur transparence à l’égard des agents et des usagers.
Merci à Jérémy Woittequand d’avoir pris le temps de répondre à nos questions.
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Une première initiative a été tentée par le syndicat SudRail qui créait un premier compte Twitter il y a une dizaine de jours. S’il a été supprimé depuis, c’est peut-être que le compte a fait l’objet d’un trop grand nombre de notifications (questions, interpellations, railleries…). En effet, la reconduite de la grève en période du baccalauréat a pu être mal perçue par la population pour ce qui concerne l’avenir des lycéens et, la maturité des organisations syndicales vis-à-vis des médias sociaux n’est peut-être pas suffisante… A quand un mouvement social publiquement et conjointement géré sur les médias sociaux par la Direction, les Organisations Syndicales, les agents, les usagers et le reste des Français ?
SOURCES :
- * Communiqué de presse : SNCF Assistance Examens
- * Twitter : #PrioriteExams
- * SNCF : Pourquoi les cheminots font grève
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Auteure de ce billet
Judith Portron
Stagiaire chargée de marketing et communication chez SpotPink, je suis étudiante en deuxième année d’école de commerce, Kedge à Bordeaux. Je suis passionnée par le domaine du marketing et des outils de communication, éléments indispensables au développement et au succès d’une entreprise. Très intéressée par l’entrepreneuriat, je souhaiterais dans le futur mettre à profit mes connaissances et mes expériences professionnelles dans une création d’entreprise. Dynamique et joviale, l’équitation et la musique ont une part importante dans ma vie. Vous pouvez me contacter via mon compte Twitter ou mon profil LinkedIn : Judith Portron. Mes tweets sur @spotpink seront signés par ^J.